Je n’ai guère le temps, ces jours-ci, de me consacrer à ce blog, et les deux ou trois sujets sur lesquels j’avais prévu d’écrire devront attendre. Pour ne pas être complètement absent, je prends quelques minutes afin de vous présenter un roman graphique récemment publié aux États-Unis sous la marque Seriocomics, qui concerne l’un des sujets récurrents (vu d’ici, je dirais : l’un des maux endémiques) au pays de Donald Trump : la prolifération des armes.

Should we buy a gun ? a pour ambition de dépassionnaliser le débat. La quatrième de couverture met en avant le fait que ce livre est né d’une collaboration féconde entre un scénariste de gauche, Dave Cowen, et un dessinateur de droite, Gabriel Wexter, – ce qui, dans un pays aussi polarisé, constitue une sorte d’événement en soi. À défaut d’être exempt de point de vue, Should we buy a gun ? (Faut-il que nous achetions une arme ?) met en scène un jeune couple sans enfant aux idées progressistes, qui vit à Austin (Texas). Ils n’ont jamais jugé utile de posséder un arsenal pour se défendre, et évoluent parmi un cercle d’amis auxquels cette idée fait positivement horreur. Mais voilà : un jour deux types cagoulés et armés s’introduisent chez eux pour les voler et cette confrontation avec la violence les laisse traumatisés. C’est la jeune femme qui, la première, prend l’initiative de se procurer une arme de défense (un pistolet bariolé aux couleurs de la bannière étoilée), au grand scandale de son mari. Pour lui faire plaisir, il accepte de s’inscrire à des séances de tir et c’est lui, alors, qui se prend au jeu. Le maniement d’une arme de poing le transforme, de manière un tantinet caricaturale, en une sorte de macho viriliste.

Je ne raconterai pas plus avant ce qu’il advient de notre gentil couple. Le livre est long (325 pages), il déplie tous les arguments en faveur du droit à se défendre comme en faveur de la non-violence, non sans force références au deuxième amendement de la Constitution, à la philosophie des pères fondateurs, à Martin Luther King et aux commandements divins. Au final, on a le sentiment d’avoir lu une synthèse non manichéenne, qui cependant penche assurément du côté progressiste (un couple queer de femmes élevant un bébé est présenté comme un modèle d’équilibre et de raison).

"Should we buy a gun ?", page 64

« Should we buy a gun ? », page 64 – © Seriocomics

Le dessin est pauvre mais il sert uniquement de support aux dialogues. C’est la démarche qui retient l’attention. Should we buy a gun ? n’est pas un témoignage ni la vulgarisation d’un livre de développement personnel, c’est un livre d’intervention, qui se sert de la bande dessinée pour enrichir le débat public.

L’adjectif seriocomic, attesté dans la langue anglaise depuis la fin du XVIIIe, désigne le mélange de sérieux et d’humour. On peut parler d’un « roman sériocomique » (a seriocomic novel). Le scénariste, Dave Cowen, a choisi ce terme comme nom de la maison d’édition qu’il a lui-même fondée, dont c’est ici le premier titre, et qui a choisi pour devise « We make serious comics fun and take fun comics seriously. » (https://www.seriocomics.media) D’autres ouvrages sont annoncés, sur les superhéros, le sport et la pornographie.