Aline n’est plus seulement le titre d’une chanson de Christophe et d’un film de Valérie Lemercier, c’est aussi celui d’une revue de bande dessinée de grand format publiée irrégulièrement à Amsterdam depuis 2019. Elle avait été lancée grâce à une campagne de crowfunding et a connu la consécration à Angoulême en janvier 2024 en recevant le Fauve de la BD alternative.
Cela a permis à Wasco, son fondateur, et quelques-uns de ses collaborateurs de prendre un stand un an plus tard dans la capitale charentaise, et de faire accéder la publication à une nouvelle dimension en abandonnant le néerlandais pour l’anglais. D’ailleurs le titre, Aline, est certes un prénom féminin (c’est à la mode dans la presse BD : cf. Nicole ou Charlotte) mais aussi un jeu de mots sur l’anglais A Line, une ligne. La rédaction utilise (par exemple pour son site internet : https://ikbenaline.eu) l’expression Ik ben Aline, « Je suis Aline » ou, donc, en somme, « Je suis un dessin ».
Chaque numéro rassemble des pages d’auteurs flamands et néerlandais, avec le renfort de quelques artistes internationaux de passage (tels la Chinoise Ming Yue et la sud-africaine Octavia Roodt dans la dernière livraison), et s’organise autour d’un thème : avant Les oiseaux (n° 8), il y avait eu, notamment, L’Ego (n° 3), Le vert (n° 4), Les langues (n° 5) ou Le plastique (n° 7).
Les contributions sont de styles très variés, souvent poétiques, quelquefois humoristiques, ou quasi documentaires, ou encore absurdes. Il n’y a aucun rédactionnel, seulement 90 pages de bande dessinée en couleur et en grand format. Le sur-titre de la revue est Comics and Art for the Eternally Young. (On ne peut s’empêcher de songer à Raw, dont le sous-titre changeait d’un numéro à l’autre.)
Wasco étant inconnu du public francophone, voici une brève présentation. Né en 1957, de son vrai nom Henk van der Spoel, il s’est fait connaître à la fin des années 1980 par un fanzine, Wasco’s Weekblad. Figure de la bande dessinée alternative aux Pays-Bas, il a participé à toutes sortes de projets collectifs et publié plusieurs albums sous son nom, notamment Het Tuitel Complex (2015), 1000 Pinguins (2018) et récemment The Book of trees (2024).
Influencé par un Steinberg ou un Mariscal (mais certaines de ses planches citent Mondrian ou Hergé), il élabore des pages minimalistes où la bande dessinée n’a plus pour ambition de raconter mais se ramène à un jeu de cadres, de lignes, de formes, de couleurs. Avec, toutefois, des personnages, tels Tuitel, petit bonhomme qui, avec son chapeau pointu, ressemble vaguement à un magicien, et son chien Phiwi. Il entre beaucoup d’inventivité formelle et de poésie dans le travail de ce spécialiste des techniques d’impressions et particulièrement de la risographie, qui a aussi signé un grand nombre d’affiches et de calendriers.

Wasco, page extraite de « Het Tuitle Complex » – Scratch Books
L’éditeur de Het Tuitel Complex était Scratch Books, à Amsterdam, une maison dirigée depuis 2014 par Wiebe Mokken, avec Joost Swarte dans le rôle de l’éminence grise. Ce dernier était même le rédacteur en chef d’une somptueuse revue intitulée Scratches, qui n’a malheureusement connu que deux numéros (en plus d’un n° 0), le premier en 2016, le second en 2018, de 120 pages chacun. Au sommaire de Scratches (littéralement : « Égratignures »), les contributeurs néerlandais et flamands (Ben Gijsemans, Herr Seele, Milan Hulsing, Brecht Evens, Tobias Schalken, Ever Meulen, Judith Vanistendael et Brecht Vandenbroucke, pour n’en citer que quelques-uns, et déjà Wasco) voisinaient avec des noms prestigieux de la scène américaine (Crumb, Spiegelman, Burns, Ware) et internationale (David B, François Ayroles, Max ou Samplerman), le tout en anglais.

Scratches n° 0 (couverture Joost Swarte)

Scratches n° 1 (couverture Daan Botlek)
Sans doute trop luxueuse, trop élitiste, mal distribuée, insuffisamment régulière et trop chère (35 €), Scratches ne s’est pas installé dans la durée et on peut le regretter. Il est assez évident pour moi qu’Aline en constitue une version plus modeste, qui a adopté un format identique (33 x 23 cm) et qui, forte de ses 8 numéros ainsi que de la reconnaissance gagnée à Angoulême, ne demande à présent qu’à se développer et à attirer de nouveaux talents.
[ Aline peut être commandée via l’adresse info@ikbenaline.eu. Le prix du n° 8 est de 18,95 €, frais de port non compris. ISBN 978-90-830329-7-9 ]