Les dessinateurs de la Belle Époque, que j’ai étudiés et, pour certains, ressuscités dans mon livre La Bande dessinée en France à la Belle Epoque (1880-1914), aux Impressions nouvelles, paraissent loin de nous et, pour beaucoup, sont tombés dans l’oubli. Pourtant leur souvenir est souvent resté vivace dans les régions où ils sont nés ou se sont implantés. Ainsi, en ce moment même (et jusqu’au 31 décembre), la ville de Manosque célèbre, au Centre Carzou, Valvérane, un enfant du pays (de son vrai nom Louis Denis), dont les dessins, plus réalistes que ceux de ses confrères, firent les beaux jours de La Jeunesse illustrée, du Petit Français illustré, du Rire et de la Chronique amusante.

J’ai le souvenir d’avoir jadis participé à une journée d’études rendant hommage à Christophe, dans sa ville natale de Lure. Le soir, au dîner, plusieurs vieux messieurs dont le vin avait délié la langue s’étaient levé et avaient récité par cœur des pages entières de la Famille Fenouillard et du Sapeur Camember.

J’étais ce 26 novembre à Noyon, pour une conférence, et j’ai pu constater que l’on y entretient le souvenir de Joseph-Porphyre Pinchon, le dessinateur de Bécassine, mais également de son frère Émile. Deuxième et troisième fils d’une fratrie comptant sept garçons et une fille, ils étaient nés à Amiens, respectivement le 17 avril 1871 et le 2 décembre 1872, mais la famille s’était installée à Noyon lorsque le père y avait repris la direction d’une tannerie (détruite par les Allemands en mars 1917). Le musée du Noyonnais, qui conserve surtout des œuvres d’Émile, a par deux fois entretenu la mémoire des artistes du cru : une première exposition intitulée J.P. Pinchon peintre et dessinateur y fut présentée en 1988, une seconde, Dans l’ombre de Bécassine : l’Œuvre méconnu de Joseph Porphyre & Émile Pinchon, en 2007-2008. (Le catalogue de cette exposition, fort bien réalisé, peut toujours être commandé auprès du musée, au prix de 15 €. Il complète utilement le récent J.P. Pinchon par l’image de Rémi Duvert, dont j’ai parlé ici-même en mai dernier : https://www.thierry-groensteen.fr/index.php/2024/05/11/pinchon-bien-au-dela-de-becassine/)

De Joseph Pinchon, la mairie conserve, accroché dans l’escalier d’honneur qui conduit à la salle des mariages, un tableau peint en 1943 : La Remise de la Légion d’Honneur à la ville de Noyon le 11 juillet 1920 (celle-ci fut remise par le Maréchal Joffre, au pied des ruines de l’hôtel de ville, en reconnaissance des immenses souffrances endurées et des nombreux Noyonnais tombés au champ d’honneur lors du premier conflit mondial).

(photo Thierry Groensteen)

Les œuvres de son frère Émile, sculpteur autodidacte, animé comme son aîné d’une passion pour les chevaux, sont plus nombreuses. Citons les bas-reliefs ornant le monument aux morts de la ville et le groupe commémorant la réhabilitation de Jeanne d’Arc, sculpté dans le plâtre à l’occasion des fêtes johanniques de 1909, installé trois ans plus tard dans la cathédrale où il se trouve encore. La mairie a récupéré, pour son hall d’entrée, deux des quarante-deux bas-reliefs qu’il avait exécutés pour l’Exposition coloniale de 1933. Et le musée présente plusieurs autres de ses œuvres, parmi lesquelles ma préférence va à ce couple, Petite fille et poney, qui se tient épaule contre épaule (voir le bandeau de cet article). Émile avait déjà présenté une Petite Écuyère au Salon de 1911.

(photo Thierry Groensteen)

Les Pinchon étaient de fervents catholiques. Joseph Porphyre avait fait ses classes à Saint-Ignace, institution parisienne dirigée par les jésuites. Il y côtoya Raymond de la Nézière et Henri Avelot, qui deviendront ses collègues dans les journaux pour enfants.