Le 18 décembre prochain ouvrira à Chartres, dans les salles du COMPA (musée départemental, conservatoire de l’agriculture mêlant sciences, histoire, techniques et arts), une exposition temporaire dont j’assure le commissariat scientifique, sur le thème du paysage dans la bande dessinée.
Ce n’est pas du thème du paysage que je parlerai ici aujourd’hui, mais de ce que le visiteur découvrira à l’entrée de l’exposition : une sorte de générique, ou de bande annonce, présentant succinctement les 41 artistes conviés à y participer, avec, pour chacun, un autoportrait. L’idée de cette galerie devant laquelle, je n’en doute pas, les visiteurs auront plaisir à s’attarder, n’est pas de moi, mais de la graphiste Lawrence Bitterly, qui fait partie de notre équipe et avec laquelle j’avais déjà eu le plaisir de collaborer sur deux expositions antérieures, à Angoulême. Cette suggestion m’a ravi car elle répond à l’intérêt que j’éprouve de longue date pour la pratique de l’autoportrait.
Dans les derniers numéros de Buck, le fanzine que, lycéen, j’ai animé dans les années 1970, on pouvait déjà trouver une rubrique qui lui était dédiée, pour laquelle Christian Godard, Dupa, Tibet, Jacques Martin et François Craenhals avaient répondu à ma sollicitation.
Plus tard, quand, en 2003, je publiai chez Mosquito un essai intitulé Lignes de vie, consacré au visage dessiné, je ne m’attardai pas outre mesure sur la question, consacrant seulement quelques pages (70 à 74) aux dessinateurs qui, tels Cosey, Breccia, Boilet ou Buzzelli, ont prêté leurs propres traits à tel ou tel de leurs personnages.
Je me rattrapai en signant plus récemment, dans le Bouquin de la bande dessinée, chez Robert Laffont, un article sur l’« autoreprésentation », consubstantielle au récit de soi, genre qui a pris l’essor que l’on sait. (On trouvera d’ailleurs, dans le même ouvrage, un article de ma main sur le « paysage ».)
J’ai longtemps rêvé de monter une exposition entièrement dédiée à l’autoportrait, pour laquelle j’ai rassemblé un très riche dossier iconographique. Car même les dessinateurs qui ne versent pas dans la confession ont souvent utilisé la page blanche comme miroir, dans l’intimité de leurs carnets ou quand, à des fins promotionnelles, ils se dessinaient soit à leur table de travail soit entourés de leurs personnages. Les autoportraits d’un Moebius ou d’un Crumb ne se comptent pas et témoignent d’un questionnement sur soi mené avec constance sur une très longue durée, dans un geste somme toute comparable à celui d’un Rembrandt, d’un Van Gogh ou d’une Schjerfbeck, l’autodérision en plus.
Pour la galerie d’autoportraits qui sera montrée à Chartres, j’ai prélevé des images déjà existantes dans les bandes dessinées de quelques-uns (Baudoin, Davodeau, Lepage, Meurisse, Neaud ou Ware) ou des dessins que d’autres avaient produits pour une occasion différente (Crumb, Guibert, Loustal, Mathieu, Mattotti, McGuire, Schuiten ou Toppi). Mais nombre d’autoportraits seront absolument inédits, les artistes concernés (Bonneau, Flao, Fléchais, Furmark, Jaffredo, Lomig, Micol, Nesme, Nocq, Othats, Penyas, Perriot, Roudeau, Trouillard, Vanoli ou Vuillier) ayant fort obligeamment accepté de se prêter à l’exercice à ma demande. La galerie qui en résulte est fascinante, et me confirme dans la conviction qu’un autoportrait est souvent un concentré de l’art propre à tel ou tel créateur, un précipité de sa poétique.
[ L’exposition Petites cases… grands espaces, le paysage dans la bande dessinée, sera visible jusqu’au 15 juin 2025. ]