Y aura-t-il un acte 3 dans le différend entre les ayants-droits d’Hergé et le peintre breton Xavier Marabout ? Acquitté en première instance, le 10 mai 2021, pour ses tableaux croisant les univers d’Edward Hopper et du créateur de Tintin (le reporter étant introduit dans des œuvres aussi célèbres que Nighthawks, Summertime, Hotel Lobby, Summer Evening ou encore People in the Sun), le contrefacteur a été condamné en appel le 4 juin 2024 par la cour de Rennes. Selon Beaux-Arts Magazine, il aimerait se pourvoir en cassation, « ce qui suppose d’abord de payer l’amende et d’engager des frais de justice. N’en ayant pas les moyens, il compte créer une cagnotte “pour défendre la liberté d’expression et cette notion de parodie” ».

En 2021, la chambre civile du tribunal judiciaire avait reconnu « l’exception de parodie » et « l’intention humoristique » du peintre Xavier Marabout. « L’effet est constitué par l’incongruité de la situation au regard de la sobriété suivie de la tristesse habituelle des œuvres de Hopper et de l’absence de présence féminine aux côtés de Tintin », estimait-il. Les toiles de Marabout montrent en effet le célèbre héros à la houppette confronté à des femmes usant de leurs charmes, ou bien lisant le magazine gay Têtu. « Il n’y a aucun risque de confusion entre Marabout et Hergé », précisait le tribunal, et c’est, en effet, un point essentiel.

Les conditions généralement retenues pour qu’une parodie soit jugée licite – ainsi que je l’ai rappelé dans mon ouvrage Parodies. La bande dessinée au second degré, Skira Flammarion, 2010 – sont : l’intention humoristique, ludique ou satirique, le fait qu’il n’y ait pas de possibilité de confondre la parodie avec l’œuvre originale, enfin l’absence de volonté de nuire ou de dégrader. Ce sont là les « lois du genre » telles qu’elles se laissent déduire de la jurisprudence, mais elles ne sont pas inscrites dans le droit national et européen. L’exception de parodie invoquée est une exception à la protection du droit d’auteur.

La chambre d’Appel a estimé que, dans le cas d’espèce, « le seul fait d’introduire (…) des éléments puissants de sensualité ou disruptifs ne peut être considéré comme procédant d’une intention humoristique. » Pour ma part, les toiles de M. Marabout ne m’arrachent pas un sourire ; quant à leur dimension « disruptive », elle est tout de même très atténuée par l’abondance des parodies dont l’œuvre d’Hergé a déjà fait l’objet (mon essai y consacrait un chapitre entier), nombre d’entre elles ne s’étant pas privées de le politiser ou de le sexualiser. On serait même enclin à penser que tout détournement de cet ordre est désormais on ne peut plus convenu et constitue un cliché.

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Mais les juges ont fondé leur condamnation sur un autre critère : selon eux, ces peintures « empruntent les ressorts d’œuvres premières pour s’attribuer le bénéfice de leur notoriété et vivre de leur rayonnement ». De fait, avoir produit quelque 39 peintures à l’acrylique dans cette seule série Hopper/Hergé, et se féliciter qu’elles se « vendent très bien », cela sent à plein nez le filon commercial. Au reste, M. Marabout n’en est pas à son coup d’essai. Il a déjà hybridé Tex Avery et Picasso, introduit des super-héros dans des affiches de Mucha, détourné Disney, Bilal, Betty Boop et Buck Danny. Bref, tout son travail consiste à parasiter le talent et la popularité des autres.

Sur son site (http://www.art-marabout.com), il se réclame du mashup pictural et du mouvement artistique baptisé Strip Art. Le mashup est une notion empruntée au domaine musical ; elle désigne le fait de coller ou de superposer des pistes musicales venant d’autres compositions. Elle est désormais utilisée dans la sphère audiovisuelle, toujours pour désigner des œuvres composées à partir de fragments préexistants, le plus souvent empruntés à la culture populaire, dans une logique de réappropriation. En revanche, le mouvement Strip Art n’a, à ma connaissance, d’autre existence que celle que M. Marabout feint de lui prêter.

Quelle que soit l’étiquette posée sur les œuvres, elle ne préjuge évidemment pas de leur qualité. Et celle-ci, dont l’appréciation est subjective, n’est d’ailleurs pas ce qui doit être jugé, tranché en droit.

L’hypothèse que je me permettrai d’avancer ici, c’est que, lorsqu’une œuvre a atteint un certain seuil de notoriété, plus aucune parodie ne saurait l’égratigner ni lui nuire en aucune manière. Tintin est LE classique par excellence de la bande dessinée européenne, un mythe, une icône culturelle. On peut légitimement s’agacer de la démarche ostensiblement mercantile d’un artiste de deuxième ordre tel que Xavier Marabout et, en ce sens, comprendre les poursuites engagées contre lui par Moulinsart (désormais Tintinimaginatio). Mais, en même temps, être bien persuadé qu’aucune citation, aucun détournement, aucune parodie n’ajoutera ni ne retranchera plus rien à la gloire de Tintin.