(7) Un humour venu d’ailleurs
Nourris par les Monthy Python et cousins de Gary Larson, Luc Cromheecke et Laurent Letzer se sont connus à l’Académie des Beaux-Arts d’Anvers. On les a découverts en France au milieu des années 1980 avec l’inénarrable Tom Carbone dans Spirou. Plunk apparaît quelque vingt ans plus tard, en 2006, dans le même hebdomadaire (et sa version flamande Robbedoes), repris après quelques mois dans le quotidien néerlandais De Volkskrant.
Le petit extraterrestre rose était auparavant un personnage secondaire de la série Taco Zip, publiée dans Spirou huit ans plus tôt. Il se verra consacrer trois albums chez Dupuis entre 2007 et 2009, tandis qu’à Amsterdam les éditions Oogachtend lui consacreront en 2021 une intégrale de 152 pages : Plunk ! Director’s cut.
Que Plunk soit un extraterrestre est de peu d’incidence : il pourrait être n’importe quel quidam, c’est un personnage disponible pour tous les emplois. On le voit notamment jouer au golf, pique-niquer ou promener un chien. Cependant les auteurs multiplient les variations sur ce poncif du dessin d’humour, qui nous est devenu familier : le naufragé sur une île déserte minuscule couronnée d’un unique palmier. J’en ai compté dix-neuf : une histoire en deux pages, onze planches-gags et sept strips indépendants. Et sur un sujet aussi rebattu, les auteurs parviennent à surprendre en repoussant les limites de l’absurde.
Comme le Nono de Thiriet évoqué dans l’épisode précédent, notre Plunk commence par voir arriver sur son îlot des caisses en bois dont le contenu, toujours déconcertant, fournit au gag son prétexte et son carburant. La première contient un marteau et un burin. Aussitôt Plunk s’improvise sculpteur. Du bloc de pierre géant qui se dresse au centre de son refuge, il fait surgir un cocotier minéral. Mais alors qu’il se repose au pied de son œuvre, lui tombe sur la tête une noix… de pierre.
Autre planche : l’îlot comprend deux palmiers. Une première caisse arrive, contenant une tronçonneuse. Plunk débite l’un des deux arbres. Il est sur le point d’achever son travail quand s’échoue une deuxième caisse, qui contient… un hamac !
Troisième variation. La caisse contient tout le nécessaire pour transformer l’îlot en terrain de golf. Je vous laisse découvrir la morale de l’histoire, d’une évidence imparable.
Un deuxième élément qui fait partie de la panoplie des naufragés est la bouteille à la mer. Là encore, Cromheecke et Letzer renouvellent le sujet.
Avant de glisser un message de détresse dans la bouteille, Plunk commence par vider celle-ci du whisky dont elle est encore aux trois-quarts emplie. Il est alors tellement ivre que ce n’est pas le message qu’il glisse à l’intérieur, mais la plume qui lui a servi à l’écrire.
Dans un autre gag, la bouteille qu’il jette à la mer lui est rapportée dans la gueule par un phoque, sur le mode du chien qui rapporte le bâton.
Le pigeon voyageur est également un moyen de communiquer avec le monde extérieur. Quand l’un de ces volatiles se pose sur son îlot, Plunk a l’idée de lui attacher un message, que l’oiseau va porter jusqu’entre les mains du chef d’un restaurant parisien. Il revient porter sa réponse au naufragé, réponse qui n’est autre qu’une recette… de pigeon !
Ainsi va la vie pour Plunk, le petit extraterrestre qui n’est finalement pas plus déplacé sur une île perdue au milieu de l’océan qu’au milieu d’une de nos grandes villes.
La série flamande confirme avec éclat que le motif de l’île déserte se prête admirablement aux divagations les plus absurdes. L’idée qu’un humain puisse survivre longtemps sur un rocher perdu, sans vivres ni eau potable, est évidemment absurde en soi. Dans cette cage sans murs, l’exacerbation des vices et des vertus de la nature humaine, et l’imagination des dessinateurs pour peupler le vide font le reste. Assurément, le filon n’est pas prêt de se tarir.
(Ce feuilleton estival se termine ici. Rendez-vous fin août pour la reprise du blog.)