(6) Îles en séries
Dans les épisodes précédents, j’ai privilégié le dessin d’humour. Les quelques bandes dessinées évoquées (de Maurice Henry, Guy Bara, Mordillo ou Bob De Moor) relevaient du strip ou de la planche unique et étaient prélevées dans des recueils dont l’île déserte n’était nullement le thème principal, apparaissant comme un motif ponctuel parmi beaucoup d’autres.
Mais il est quelques bandes dessinées dans lesquelles notre sujet a été traité de manière plus extensive. Le Naufragé du A, de Fred, le merveilleux premier grand récit de Philémon, vient de suite à l’esprit. Philémon, tombé dans un puits, y accoste sur la plage d’un rivage inconnu. Il s’agit bien d’une île ; toutefois il s’apercevra rapidement qu’elle n’est point déserte, mais peuplée qu’un centaure y vit en bonne intelligence avec Barthélemy le puisatier (en costume de Robinson) ; puis surviennent les marins d’une bouteille-navire (la fameuse bouteille à la mer revisitée) qui ont bien connu Daniel Defoe ! En somme, Fred joue avec les topoï du paradigme de l’île déserte et du naufrage (le radeau de la Méduse sera cité un peu plus loin) ; son imagination les touille et les détourne pour créer le monde enchanté des îles-lettres de l’Océan atlantique.
Dans l’espace francophone, et sans même nous arrêter à un numéro du journal Tintin « spécial îles désertes » (n° 50 de l’édition belge, paru le 15/12/1981 / n° 327 de l’édition française, le 11/12/1981), on peut encore citer trois séries, toutes plus ou moins éphémères. Thiriet dessine Nono le Naufragé dans Spirou en 1995 et 1998 (n°s 2993 à 2999 + 3001, 3002, 3009, 3125, 3128, 3129 et 3131). Le format des épisodes est d’une demi-planche. Nono est un homme efflanqué, aux vêtements élimés, coiffé d’un grand chapeau de paille. Sur son îlot pourvu du palmier de rigueur, il revisite avec ironie les situations classiques du genre : une caisse flotte jusqu’à lui ; il se prend à rêver qu’il en sortira un canot pneumatique, un jet-ski ou un petit sous-marin, mais tout ce qu’il y trouve est… un vélo ! Ou bien, relevant le courrier du matin qui lui parvient sous la forme de trois bouteilles contenant des messages, il constate, désabusé, qu’il n’y a que des factures.
Corteggiani au scénario, Bercovici au dessin, ont créé la série Robinson et Zoé pour le mensuel Gomme. Un unique album a paru chez Glénat en 1984. Robinson est un vieil homme barbu et Zoé son oiseau de compagnie, un perroquet naturellement doué de parole. Au fil de planches-gag assez enlevées, leur île se révèle finalement très peuplée, recevant la visite de personnages bibliques, d’un soldat japonais ou d’un petit Africain ; toutefois Robinson décourage un naufragé qui se disposait à aborder avec son radeau, en se déguisant en gorille menaçant : « Encore un qui ne viendra plus nous casser les ripatons ! » Dans une autre planche, c’est le naufragé qui se déguise, prenant l’apparence d’une femme dans l’espoir de recevoir un meilleur accueil ; il finit dans un chaudron, servant de repas à notre duo qui se révèle, pour l’occasion, amateur de chair humaine.
Le dessinateur de presse Dobritz, qui fut un collaborateur attitré du Figaro de 1988 à 2016, est le créateur de la série Robin de l’île qui compte 394 épisodes au format strip (on les trouve en ligne à cette adresse : https://robin.lapin.org/tous-episodes.php). Un recueil a paru en 2004, chez Editoo.com. Inspiration et dessin me paraissent également faibles.
Fred mis à part, tout cela est, il faut bien le reconnaître, assez anecdotique. Mais je voudrais conclure par l’évocation d’une création plus intéressante à mes yeux, signée du duo flamand Cromheecke et Letzer. Je veux parler de Plunk, une bande dessinée muette dont le protagoniste est un petit extraterrestre rose coiffé d’un entonnoir vert. J’y consacrerai le prochain épisode de ce feuilleton, qui sera le dernier.
(à suivre)