Pour l’amateur de bande dessinée, le nom de Richard McGuire est étroitement associé à l’album Ici (Gallimard, 2015, couronné du Fauve d’Or à Angoulême), qui, par son originalité conceptuelle, sa réussite formelle et sa profondeur, a marqué l’histoire récente. Mais l’assimiler à ce seul ouvrage serait éminemment réducteur, car l’artiste new-yorkais a investi des champs multiples : le street art, la musique (comme bassiste – et batteur occasionnel – du groupe Liquid Liquid), l’illustration (on lui doit à ce jour 23 couvertures pour le New Yorker), le livre pour enfants, l’animation (on se souvient de sa participation à Peur(s) du noir), la création d’objets 3D.

L’exposition Richard McGuire Then and There, Here and Now, présentée au CartoonMuseum de Bâle depuis le 8 juin et jusqu’au 3 novembre, évoque et déploie en étendue toutes ces créations. Elle constitue une version très étoffée d’une première exposition rétrospective qu’ont pu voir les Marseillais en 2021-22, dans le lieu d’exposition de l’association Fotokino, à l’initiative de son directeur artistique, Vincent Tuset-Anrès.

Plusieurs élégants fascicules sous pochette blister avaient été publiés pour l’occasion, dont l’un reprenait une courte BD de l’artiste, My Things, initialement publiée en 2018 par le Aldrich Contemporary Art Museum (Ridgefield, Connecticut), dix pages établissant une sorte d’inventaire des objets familiers et des manipulations quotidiennes auxquelles ils se prêtent (discrète allusion à Ici à la page 9, en forme d’autocitation : le verre d’eau qui tombe et se brise). On y retrouve le dessin diagrammatique qui est généralement la marque de fabrique de McGuire (lequel, pour Ici, s’était toutefois livré à un superbe travail, inhabituel pour lui, sur les textures, les matières et les couleurs) et son goût pour les dispositifs formels contraignants : toutes les pages s’organisent autour d’une grande vignette carrée centrale. Isolés par des cadrages serrés, les objets auxquels on ne prête plus attention et dont on ne retient que l’usage fonctionnel sont ainsi célébrés, parce qu’ils tissent la trame de nos journées mais aussi pour leur esthétique propre. My Things est une bande dessinée infranarrative ; suffirait-il d’élargir le champ, de montrer le corps de l’individu manipulateur, pour accéder à une forme de narration ?

Richard McGuire, My Things

« My Things », planche 3

Publié, quant à lui, par Hamish Hamilton au Royaume-Uni et Pantheon Books aux États-Unis, Sequential Drawings, sous-titré The New Yorker series, est un recueil compact (de la forme d’une brique) comprenant près de 600 pages. Il rassemble 29 séries de petits dessins réalisés pour illustrer les marges d’articles parus dans le célèbre hebdomadaire. Certaines, comme issues d’un catalogue, sont purement descriptives, faisant se succéder différents types de chapeaux, de cages à oiseau ou de crèmes glacées. Mais la plupart, sans être à proprement parler des bandes dessinées, ont une dimension narrative. Et beaucoup s’intéressent, elles aussi, au monde des objets, faisant par exemple d’une boîte aux lettres, d’un horodateur et d’une poubelle les protagonistes de la première séquence, intitulée « Three Friends ».

Ici (Here en V.O.) a connu plus de vingt traductions et Robert Zemeckis vient d’en réaliser une adaptation cinématographique Eric Roth au scénario, Tom Hanks et Robin Wright dans les rôles principaux. C’est peu dire que l’on attend avec la plus grande impatience de voir comment s’est opérée la transposition à l’écran de la prodigieuse machine à voyager dans le temps imaginée par McGuire (les premières projections auront lieu en novembre).

Tout comme on attend – mais là, nous allons devoir, je le crains, être beaucoup plus patients – le prochain roman graphique de McGuire, en cours d’élaboration. Le paradigme d’Ici y sera inversé : au lieu d’une unité de lieu couplée à la plus grande amplitude temporelle, l’action de ce nouveau livre sera concentrée en une minute mais nous fera voyager partout dans le monde.

[Le très beau catalogue de l’exposition Then and There, Here and Now peut être commandé sur le site merianverlag.ch, au prix de 39 €. ISBN 978-3-03969-024-4. https://www.merianverlag.ch/en/produkt/kunst/richard-mcguire-then-and-there-here-and-now/5d43608f-b0f9-456a-b372-89dd7294a720.html ]

McGuire, couverture du New Yorker, 4 novembre 2019

« Noise New York », The New Yorker, couverture, 4 novembre 2019