À bas bruit, l’aventure éditoriale exemplaire des Cahiers dessinés créés par Frédéric Pajak en 2002 se poursuit et même s’amplifie, émancipée de sa maison mère d’origine, Buchet-Chastel. Autour de la revue, un catalogue s’est construit autour d’un axe qui ne peut que me réjouir : la célébration du dessin sous toutes ses formes. Plus de cent recueils et beaux livres, quelques essais, depuis 2021 une deuxième revue intitulée L’Amour : le catalogue force le respect, non seulement pour la persévérance de la démarche mais pour son intransigeance – non dépourvue d’une certaine austérité – et sa qualité d’ensemble.
S’y ajoute, depuis l’année dernière, le Catalogue annuel du Festival du dessin organisé à Arles, dont l’édition 2024 se tenait du 20 avril au 19 mai, dans tous les lieux d’exposition de la ville, avec Tomi Ungerer pour tête d’affiche. Déjà hôte des fameuses Rencontres de la Photogr aphie, la ville, qui est aussi le berceau des éditions Actes Sud, s’affirme toujours plus comme une capitale culturelle, avec un accent particulier mis sur l’image.
Le rubriquage du Catalogue du Festival du dessin laisse perplexe, avec des catégories plutôt floues et qui paraissent se chevaucher : « Classiques des temps modernes », « Dessinateurs du temps passé et du temps présent » ou encore « Le dessin, ce messager ». Mais ce n’est qu’un détail, et l’amateur sera comblé par les présentations (forcément succinctes, mais suffisantes pour procurer le plaisir des retrouvailles ou de la découverte) des quarante-deux artistes exposés cette année – tous différents de la première édition. Chacun nous fait éprouver, à sa manière unique, ce « savoir-faire à la fois intime et spectaculaire » (pour reprendre les mots de Pajak) qui caractérise l’art du dessin.
Le générique annonce Goossens et Wolinski aux côtés de Dubuffet, Giacometti, Michaux ou Beuys, ce qui, pour le moins, témoigne d’un bel éclectisme. Celui-ci se retrouve naturellement au plan des techniques : dessin au trait, lavis, aquarelle, gouache, papier découpé, pointe sèche, eau-forte, lithographie, graffiti… Étrangement, tous les dessinateurs issus du champ de la bande dessinée ou qui ont un temps flirté avec elle se retrouvent dans un même chapitre un peu fourre-tout, « Dessin de presse et d’humeur », aux côtés d’autres artistes avec lesquels on peine à leur trouver quelque rapport. Les anciens lecteurs de Charlie mensuel seront contents de retrouver la rare signature de Christian Roux, qui autrefois se faisait appeler Cathy Millet. Elle y voisine avec celle d’un autre artiste qui fut lui aussi à l’honneur dans le mensuel des éditions du Square, Guido Buzzelli. Pajak est manifestement entiché de ce dernier, dont il a republié les Œuvres en quatre fort volumes, voyant en lui « du Piranèse et du Goya », mais également « du Gogol et du Kafka ». Pour ma part, je ne tiens pas Buzzelli pour négligeable mais il me semble que son art a considérablement vieilli, et ce sont bien ses dessins qui m’intéressent le moins dans l’ensemble de ce Catalogue. Belle surprise, en revanche, et hommage inattendu, que l’exhumation des caricatures de René Goscinny, datant de l’époque où il n’avait pas encore abandonné le crayon pour la machine à écrire.
Et comment ne serais-je pas étreint par l’émotion en tombant sur les œuvres (feutre, aquarelle et collages) d’Antoine Capitani, le fils de Jean-Paul Capitani et Françoise Nyssen ? La seule unique fois où j’étais allé dîner chez eux, en Arles, ce jeune garçon attachant et doué avait été heureux de me montrer ses dessins et je l’avais encouragé. Je n’imaginais pas qu’il mettrait fin à ses jours dans la nuit du 7 au 8 février 2012. Il n’avait pas vingt ans.