Pour les lecteurs d’aujourd’hui, le nom de Joseph Pinchon est indissociable du personnage de Bécassine, auquel il accorda ses soins pendant quarante-cinq ans, dessinant près de 1800 planches de ses aventures. Tel l’arbre cachant la forêt, la petite bonne bretonne a complètement éclipsé les autres travaux d’un artiste qui fut extraordinairement prolifique et s’essaya à toutes sortes de domaines. Un ouvrage intitulé J.P. Pinchon par l’image, fruit de trente années de recherche, offre pour la première fois une vue d’ensemble de cette production.
Pinchon possédait une propriété familiale dans l’Oise, à Clairoix (non loin de Compiègne ; il s’est d’ailleurs beaucoup consacré à la célébration de Jeanne d’Arc, l’enfant du pays), devenue aujourd’hui la mairie du village. L’on doit cette somme d’érudition à Rémi Duvert, l’un des fondateurs de l’association Art, histoire et Patrimoine de Clairoix, qui en est l’éditrice. Le texte, strictement factuel, vient surtout en appui d’une iconographie surabondante. On regrettera que certaines pages ressemblent un peu à des alignements de timbres-poste, mais il va de soi qu’il aurait fallu bien plus de 132 pages si les images avaient bénéficié d’un format plus confortable, et c’est l’effet de masse qui a été privilégié.
Au fil des pages, on découvre ou redécouvre les débuts de l’artiste dans le Saint-Nicolas, ses illustrations, ses affiches, ses albums pour les éditions Delagrave et pour Chagor (Charles Gordinne), en Belgique, ses séries de planches didactiques, ou encore ses lavis pour le film fixe adapté des Mémoires d’un âne de la Comtesse de Ségur.
La peinture de Pinchon, de style académique, n’est pas à dédaigner. Il avait une passion pour le cheval et a peint plusieurs portraits équestres, ainsi que de nombreuses scènes de vènerie. Grâce à un dépôt du musée de Senlis, le musée de la Chasse et de la Nature, à Paris, expose d’ailleurs un magnifique carton de tapisserie simplement intitulé La Chasse. Pinchon a régulièrement présenté des toiles dans les salons, il fut distingué par un prix à quatre reprises et occupa même le poste de Président de la section Peinture de la Société Nationale des Beaux-Arts en 1938. Plusieurs musées et hôtels de ville détiennent l’une ou l’autre de ses œuvres, par exemple le musée de Picardie à Amiens.
On jugera sans doute plus personnels ses dessins de presse pour L’Écho de Paris, souvent d’excellente facture, qu’il signait « Jospin » et dont le musée de la Bande dessinée d’Angoulême conserve une copieuse sélection. Et l’on n’aura garde d’oublier sa collaboration avec l’Opéra de Paris, où il dessina les costumes de quelque vingt-huit productions, passant même directeur des services artistiques en 1914, avant de partir au front où il se distingua.
Du côté de la BD, il est à noter que Pinchon a signé des bandes dessinées muettes (L’Oncle Tontaine est si distrait, dans Cap’taine Sabord en 1947) ; des planches légendées, comme dans Bécassine ; des planches dialoguées, mais où les répliques prennent place dans une partie laissée vide du dessin, au-dessus ou à côté dues locuteurs, sans être circonscrites par des bulles (Rémi Duvert estime qu’ils ressemblent à des « graffiti sur le mur de l’image », ce qui est une assez jolie désignation) ; et une combinaison de ces deux systèmes. En revanche, ses planches « à bulles » sont restées extrêmement rares (on les trouve principalement dans Âmes Vaillantes au cours des années 1940, notamment dans une rare série pour fillettes, Lydia écuyère de cirque). Mort en 1953, il avait pourtant connu la bande dessinée américaine dans les années 1930 et les grands illustrés franco-belges de l’après-guerre.
Mais Pinchon n’a jamais cherché à copier les formes plus modernes. Son style graphique est d’ailleurs demeuré assez stable au fil des décennies, connaissant peu d’inflexions. (On peut tout de même observer que pour son Gilles du maquis, également paru en 1947 dans Cap’taine Sabord, son trait, devenu plus réaliste, s’était rapproché de celui de René Giffey.)
Parmi ses personnages qui n’ont pas connu la même postérité que Bécassine, on retiendra particulièrement celui que L’Écho de Paris accueillit en 1920, à savoir le collégien Frimousset, qu’accompagnaient sa tante Amélonde et le chat Houpalariquette (406 planches, et une série d’albums chez Ferenczi) ; mais aussi Grassouillet et La Famille Amulette, hôtes de Benjamin au début des années trente.
La bande dessinée française antérieure à 1950 reste méconnue et mal aimée. Pinchon y occupait assurément l’une des toutes premières places.
(Pour se procurer J.P. Pinchon par l’image, envoyer un chèque de 24 euros, libellé à l’ordre de « Association Art, Histoire et Patrimoine de Clairoix », à Rémi Duvert, 23 rue Saint-Simon, 60280 Clairoix.)