En 1925, Zig et Puce rêvaient d’Amérique et cherchaient par tous les moyens à gagner New York. Un siècle plus tard, la bande dessinée française verrait-elle à nouveau le pays de l’Oncle Sam comme une Terre promise ? Après L’Américain de Loïc Guyon en 2021 (Sarbacane), voici, chez 2024, Je suis un Américain de Guillaume Chauchat. Il est vrai que ce dessinateur, né en 1980, formé aux Arts décoratifs de Strasbourg, a passé une partie de son enfance aux États-Unis.
Je suis un Américain n’est pas pour autant un livre autobiographique. C’est l’histoire de Jean et de Jane, et aussi de la jeune Jeannie. Lui rêve des États-Unis, au point de se faire passer pour un yankee, elle fantasme la France. La rencontre entre ces deux personnes qui se racontent des histoires en miroir aura des allures d’évidence : « Elle avait sa France, il avait son Amérique ». Le récit navigue entre le français et l’anglais, entre rêve, affabulation et réalité.
Lauréat du concours Jeunes Talents à Angoulême en 2010, bénéficiaire d’une exposition au même festival dès 2015, Guillaume Chauchat a beaucoup diversifié ses activités (illustration, sculpture) et n’a pas encore réalisé dans la bande dessinée la carrière à laquelle il semblait promis. La trilogie à laquelle son nom était attaché jusqu’ici, Il se passe des choses (2013-2016), relevait de la poésie visuelle et des jeux graphiques – dans la lignée, soulignait à bon droit son éditeur, du dessin d’idée façon Saul Steinberg.
Dans Je suis un Américain, le travail sur la forme est tout aussi concerté mais très différent, s’inscrivant plutôt dans la continuité de son album jeunesse La Villa nuit (Biscoto, 2023), dont le protagoniste, d’ailleurs, était déjà un petit garçon prénommé Jean. Le trait, épais et gras, donne l’impression que les dessins ont été grossis selon un procédé photomécanique – ce qui, du reste, serait cohérent avec l’esthétique du fragment et du close-up cultivée par l’auteur. S’y ajoutent un jeu sur des couleurs primaires (4 pantones), un travail sur le cadre – avec des images le plus souvent enfermées dans un gaufrier de 6 cases mais qui quelquefois flottent dans le blanc de la page – et une alternance entre les séquences narratives et d’autres suites de pages plus déconcertantes, où des figures incongrues voire surréelles accompagnent le texte sur un mode oblique ou distancié.
Le dessin de Chauchat, d’une grande sûreté, est fondé sur la réticence : il en montre le moins possible. Les « fonds » d’image (décors) sont nettoyés, les personnages réduits à des silhouettes, avec très peu de marqueurs d’identité ; et, dans ce petit théâtre elliptique, les objets occupent autant de place que le vivant.
On songe à la Pravda de Guy Peellaert pour les couleurs, et à certains travaux de Paul Cox. Chauchat est un graphiste autant qu’un dessinateur, d’ailleurs tous ses livres sont des objets magnifiquement maquettés, celui-ci ne faisant pas exception. Sur des thèmes qui l’accompagnent depuis toujours (le mensonge, le rêve…), Je suis un Américain est, pour lui, le livre de la maturité.