Si la bande dessinée francophone a attendu les années 1970 pour commencer à offrir ses premiers rôles à des personnages féminins (exception faite des séries restées confinées dans les pages des journaux pour fillettes ou adolescentes, et d’une ou deux séries quotidiennes comme Arabelle et 13 rue de l’Espoir), il existe un domaine étranger qui fut précurseur en la matière, c’est celui du comic strip américain. Mais le temps a quelque peu oblitéré le souvenir des héroïnes de récits d’aventures qui se sont épanouies dans les pages des comics des années 1930 et 1940.
Peter Maresca et Trina Robbins ont eu l’heureuse idée de s’associer pour concevoir une remarquable anthologie, publiée en grand format (celui des Sunday pages de l’époque) chez Sunday Press Books, la maison d’édition animée par le premier cité, qui appartient désormais à Fantagraphics. Dauntless Dames (« Femmes intrépides »), ainsi s’intitule cet ouvrage sous-titré Women Stars from the Golden Age of Comics.
Il y avait déjà des héroïnes dans les comics des années antérieures, mais il s’agissait de jeunes filles à marier (Polly And Her Pals), de working girls (Winnie Winkle The Breadwinner) ou de femmes au foyer (Blondie). Celles ressuscitées par Maresca et Robbins ont mieux à faire que de jouer les dactylos, de s’occuper de mode, d’enfants ou d’œuvres de charité. Ce sont d’authentiques aventurières, que les hommes trouvaient sexy et attirantes, et auxquelles les femmes avaient envie de ressembler.
La plus notoire des dix séries réunies dans cette anthologie est Connie, de Frank Godwin, qui avait eu les honneurs d’un volume dans la collection « Copyright », chez Futuropolis, en 1981, mais qui n’a jamais, à ma connaissance, fait l’objet d’une édition américaine de qualité. D’abord femme oisive jouissant de moyens confortables, Connie devint reporter, puis détective. Dauntless Dames s’attarde plus particulièrement sur l’épisode, qui débuta le 9 août 1936, au cours duquel la jeune femme se transporta dans le futur. La machine à voyager dans le temps qui devait l’y amener était réglée de manière à lui faire accomplir un bond en avant d’une année, mais le chat du laboratoire déplaça involontairement le curseur et Connie se retrouva mille ans plus tard, en 2936 ! De quoi lui faire prononcer son exclamation favorite : « Great Guns ! »
Sur les neuf autres séries, cinq étaient, comme Connie, des créations d’auteurs masculins : ce furent respectivement Myra North, Flyin’ Jenny, Invisible Scarlet O’Neil (douée du super-pouvoir évoqué dans son nom de guerre : se rendre invisible), Miss Cairo Jones et Claire Voyant. Mais les quatre autres devaient l’existence à des autrices : Brenda Starr à Dale Messick (1906-2005), Miss Fury à Tarpé Mills (1918-1988), Deathless Deer à Neysa McMein (1888-1949) associée à la scénariste Alice Patterson (1906-1963) et Torchy Brown, héroïne de couleur, à l’afro-américaine Jackie Ormes (1911-1985). Toutes ces dames ont leur notice sur Wikipédia et j’invite mes lecteurs à s’y reporter pour un plus large aperçu sur leurs carrières souvent bien remplies.
Milton Caniff exerça une influence graphique indéniable sur beaucoup d’entre elles. Et il est assez amusant d’observer que, n’était leur coiffure, les héroïnes nées sous leurs crayons présentent un air de ressemblance, obéissant au même canon de la beauté d’époque : sourcils arqués, petit nez et bouche très soulignée.