L’Association des critiques et journalistes de bande dessinée (ACBD) a quarante ans. Fondée par une douzaine de journalistes lors de la onzième édition du festival d’Angoulême, elle se donnait pour objectif de « promouvoir l’information sur la bande dessinée dans les médias ». Elle compte aujourd’hui 104 adhérents et a célébré son anniversaire d’une double manière : à travers l’édition d’un livre de 154 pages tout en couleurs, intitulé Le Guide des 40 ans (une version numérique peut être téléchargée à cette adresse : https://www.acbd.fr/8647/actualites/lacbd-fete-ses-40-ans/) et par l’organisation d’un forum qui s’est tenu dans la matinée du 16 mars, sur le thème La bande dessinée, art officiel ? Elle se manifestera aussi le 6 avril au festival BD à Bastia par un débat et aux Rendez-vous de la BD d’Amiens en juin par une exposition.
L’ACBD a connu quatre présidents, successivement Ivan Drapeau, Hervé Cannet, Jean-Christophe Ogier et Fabrice Piault. Le public la connaît d’abord pour le rapport annuel analysant la production de bandes dessinées en France du point de vue statistique, connu sous le nom de « Rapport Ratier » du nom de celui qui en fut la cheville ouvrière, Gilles Ratier, de 2000 jusqu’à 2016 (il est regrettable que personne n’ait pris sa succession).
Il la connaît ensuite pour les prix qu’elle décerne : le Grand Prix, qui distingue un album par an depuis 1984, et, plus récemment, un Prix Asie, un Prix de la bande dessinée québécoise, un Prix Jeunesse et un Prix Comics. Le Grand Prix de l’ACBD a souvent couronné des ouvrages de grande qualité, tels Jimmy Corrigan de Chris Ware, Asterios Polyp de David Mazzucchelli, L’Enfance d’Alan d’Emmanuel Guibert, Tamara Drewe de Posy Simmonds, Moi, assassind’Altarriba et Keko ou encore La Terre des fils de Gipi, pour ne citer que ceux-là. On regrettera toutefois que les petites maisons d’édition indépendantes soient très rarement récompensées. Il faut se tourner vers le Prix Asie pour qu’apparaissent Vertige Graphic, Flblb, Ça et là, Cornélius et IMHO, mais le Grand Prix, lui, n’a récompensé qu’une seule fois l’Association en 40 ans, jamais Cornélius, 6 Pieds sous Terre, FRMK, Atrabile ou Les Requins marteaux (la liste complète serait évidemment bien plus longue), ni même Actes Sud. La raison en est simple : les journalistes récompensent ce qu’ils ont lu, autrement dit les services de presse des grands éditeurs qui les cajolent, et beaucoup n’ont malheureusement pas la curiosité de se tenir au courant des autres productions. Ce déséquilibre est flagrant dès les sélections qui, chaque année, précèdent l’attribution du prix.
J’ai assisté au forum du 16, dont les invités étaient Pascal Ory, membre de l’Académie française, Catherine Meurisse et Emmanuel Guibert, membres de l’Académie des Beaux-Arts, Benoît Peeters, titulaire de la chaire de création artistique du Collège de France pendant un an, et Jean-Paul Gabilliet, américaniste qui enseigne la bande dessinée à l’université de Bordeaux-Montaigne. Il était particulièrement intéressant d’entendre Catherine et Emmanuel expliquer les circonstances de leur élection. La première, qui, quand elle a appris que « son nom circulait », ignorait jusqu’à l’existence de l’Académie, et qui dit avoir accepté de se porter candidate et de faire campagne, conformément aux règles de l’institution, parce qu’elle y a vu un moyen de sortir de son atelier et de la solitude propre à l’exercice du métier, une occasion d’aller à la rencontre d’autres artistes et de s’enrichir à leur contact. La volonté du secrétaire perpétuel de féminiser la section « Peinture », le contexte de l’Année de la Bande dessinée et le fait qu’elle venait de publier son livre sur Delacroix ont été autant de circonstances qui ont joué en sa faveur.
Depuis son élection, Catherine Meurisse a changé de section car (au prix d’une modification des statuts) la section de gravure a vu son périmètre élargi au dessin sous toutes ses formes, et il est apparu évident qu’elle y avait davantage sa place qu’en peinture. C’est cette même nouvelle section « Gravure et dessin » qu’Emmanuel Guibert a rejointe en janvier 2023, à l’initiative de son ami le graveur Pierre Collin qui y siégeait déjà. Mais son élection a été plus serrée, et s’est jouée à peu de choses : il y avait quatre candidats pour un fauteuil, et plusieurs tours de scrutin ont été nécessaires pour les départager. Ces deux grands artistes que sont Emmanuel et Catherine sont enchantés de siéger dans une Académie qui, cela se sait trop peu, déploie de multiples activités en faveur de la jeune création (résidences, prix, etc.).
Il ne faudrait pas oublier de signaler que Marjane Satrapi à son tour a été élue à l’Académie le 28 février de cette année, mais dans la section « Cinéma et audiovisuel », au fauteuil V précédemment occupé par Jacques Perrin. En quelques petites années, la bande dessinée aura réussi à faire entrer trois de ses représentants dans la place. Un jour, peut-être, créera-t-on une section réservée. Cela paraît peu probable à l’heure actuelle, mais qui aurait parié voici seulement dix ans sur cette triple élection ?