Les premières gares du nouveau réseau Grand Paris Express (200 km de voies ferrées autour de Paris ; ligne 14 prolongée, et nouvelles lignes 15, 16, 17 et 18) seront inaugurées dès cette année, et l’on pourra, à cette occasion, découvrir les images créées par Edmond Baudoin pour la gare de l’aéroport d’Orly, ou celles de Sergio Garcia Sánchez à Saint-Denis Pleyel.
Images conçues dans le cadre du concours international ouvert aux artistes en provenance de la bande dessinée, de l’animation, de l’illustration ou du graphisme, qui prendront place sur les quais de chacune de la soixantaine de nouvelles gares construites sur le parcours, dont la présentation sera pérenne et qui ne seront polluées par aucune affiche publicitaire.
J’ai fait partie du jury qui a déjà – sur 1084 dossiers de candidature reçus – sélectionné les trente premiers lauréats, parmi lesquels on trouve notamment, outre les deux cités plus haut, les noms de Brecht Evens, François Schuiten, Ben Katchor ou Enki Bilal, mais également Sandrine Martin, Stéphane Oiry, Matthias Lehmann ou Rutu Modan.
Au cours des échanges avec les dessinateurs concernés, il est vite apparu que l’exercice qui leur était demandé présente des difficultés particulières. En effet, les images – supposées refléter, dans l’espace de la gare souterraine, la vie et les singularités du territoire se trouvant en surface, et dont le nombre varie, selon les cas, de six à quinze – seront espacées les unes des autres de plusieurs mètres. Or, pour un créateur venu du champ de la bande dessinée, qui dit suite d’images dit presque naturellement séquence narrative. Mais comment s’assurer que des images aussi distantes seront perçues par les usagers comme étant partie prenante d’un récit ? Sans compter que, pour que les voyageurs prennent connaissance de celui-ci, il faudrait qu’ils arrivent sur le quai à hauteur de la première image et qu’ils en arpentent la totalité, au lieu de se poster, immobiles, à tel ou tel endroit, comme ils en ont l’habitude. Dernière difficulté, pour les artistes dont les images seront réparties sur deux quais se faisant face : les installations caractéristiques des lignes automatisées rendent quasi impossible la contemplation, depuis un quai, de ce qui se trouve sur l’autre. En somme, il faudra, idéalement, que le dispositif éduque les usagers du métro à un nouveau mode d’appropriation de l’espace.
En dépit de ces difficultés, certains des lauréats ont bel et bien choisi de développer une narration, mais la plupart ont préféré tisser d’autres sortes de liens entre les images, jouer simplement de leur coexistence plutôt que de leur consécution. Ils ont proposé un ensemble de vues cadrant ou synthétisant telle ou telle portion du territoire, en y introduisant éventuellement un personnage récurrent, ou décliné tel ou tel motif emblématique, inventorié tel ou tel paradigme thématique. Ils ont, en somme, réinventé tous les degrés, toutes les modalités de la solidarité iconique.
L’invitation est dès à présent lancée aux amoureux du dessin : il leur faudra, le moment venu, parcourir l’ensemble du nouveau réseau pour découvrir ce musée de l’illustration. Et descendre à chaque gare pour y regarder de plus près, pour prendre le temps d’entrer dans les images.