Alors qu’un demi-siècle nous sépare désormais de sa création – le livre ayant été dessiné à Toronto entre 1972 et 1974 –, La Cage, de Martin Vaughn-James, connaîtra en février 2024 sa cinquième édition française, toujours aux Impressions nouvelles. La première avait paru en 1986, les suivantes en 2002, 2006 et 2010. Quelque 800 exemplaires vont être réimprimés, alors que les ventes cumulées s’établissent à ce jour aux environs de 3 000 exemplaires.

C’est peu relativement à la fortune critique de ce « roman visuel », mais pas si mal pour un livre expérimental, déroutant, atypique, dont les années n’ont pas émoussé la radicalité et la puissance de fascination.

J’avais, pour ma part, découvert toute l’importance de cette œuvre à l’occasion du colloque de Cerisy de 1987, dont j’étais l’organisateur. Marc Avelot (l’un des fondateurs des Impressions nouvelles) y avait présenté une conférence remarquable, reprise dans le volume des Actes, Bande Dessinée, récit et modernité (Futuropolis/CNBDI, 1988). Empruntant à l’appareil conceptuel du théoricien de la Textique Jean Ricardou, Avelot s’attardait notamment sur l’analyse d’une…  page blanche, celle qui sépare le « prologue » (trois dessins consécutifs en « belle page ») du début du récit proprement dit. Analyse magistrale, que j’ai souvent reprise par la suite devant mes étudiants de l’École européenne supérieure de l’Image.

Ainsi que je l’ai relaté dans Une vie dans les cases (p. 201), j’ai eu l’occasion de prononcer en 2002 une conférence sur La Cage dans la ville même où le livre avait été conçu, comme invité au 32e colloque annuel de la Popular Culture Association, qui se déroulait cette année-là au Sheraton center de Toronto. Dans mon journal de 2002, je retrouve cette observation amusée : « Ayant en aversion toute manifestation cocardière, j’avais un peu honte de parler sous un panneau installé exprès par mes amis du Consulat (qui, certes, avaient financé mon voyage), où la devise et les couleurs de la France étaient flanquées, à gauche de la Tour Eiffel, à droite de la CN Tower de Toronto — la première malignement agrandie pour faire mine de rivaliser avec la seconde, qui, en réalité, la toise de près de deux cents mètres supplémentaires. »

En dépit de mes efforts, je n’avais pas réussi à localiser la pumping station dessinée par Vaughn-James, que j’aurais aimé prendre en photo. Ce bâtiment, autour duquel l’artiste avait développé une rêverie d’où est sortie La Cage, existait-il encore ? En tout cas, personne n’avait pu me renseigner à ce sujet, et les livres sur l’architecture de Toronto que j’avais feuilletés dans diverses librairies ne m’avaient pas été d’un plus grand secours. Mais elle a depuis été dénichée sur le blog Scenes from Toronto, dont l’auteur, Bob Georgiou, l’a photographiée en 2015, établissant ainsi qu’il s’agissait de la Bridgman Transformer Station, édifice en briques rouges inauguré en 1904 et situé sur Davenport Road, au n° 391 (https://scenesto.com/tag/bridgman-transformer-station/). La cheminée dessinée par Vaughn-James a disparu.

L’appareil critique accompagnant l’œuvre a varié au fil des éditions successives de La Cage. On a pu lire d’abord un essai de Jean-Pierre Vidal intitulé « La Capture de l’imaginaire » ; puis un texte de Vaughn-James lui-même, rédigé en 2006 : « La Cage ou la machine à fabriquer des images ». En 1998, ayant acheté auprès de Martin, pour le musée de la Bande dessinée, la totalité des originaux de La Cage, ainsi que les brouillons et carnets préparatoires, je découvris qu’ils recelaient des éléments susceptibles d’apporter un éclairage nouveau sur le chef-d’œuvre du Britannique. Leur étude attentive déboucha sur la rédaction d’un essai, La Construction de La Cage. Autopsie d’un roman visuel, d’abord publié sous la forme d’un petit volume autonome en 2002. C’est, depuis 2010, ce texte qui tient lieu de postface au roman visuel.

couverture de l’édition 2024

Deux remarques conclusives.

  1. La Cage n’est pas un récit dessiné muet, contrairement à ce que croient et propagent erronément les équipes du musée de la Bande dessinée, malgré mes démentis répétés. Certes le texte n’est pas visible sur les originaux, mais il existe et court tout au long des pages du livre.
  2. Martin Vaughn-James m’avait très généreusement offert une double page qu’il avait finalement choisi de retirer de l’édition originale. N’étant pas collectionneur et ne conservant aucun original par devers moi, j’ai donné cette pièce rare au Cartoonmuseum de Bâle.