« Avec 60 titres au catalogue, Marabulles est une maison d’édition au sein de Marabout. Créée en 2009 avec le lancement à succès des titres de Margaux Motin J’aurais adoré être ethnologue et La Théorie de la contorsion, Marabulles s’est développé dans la BD humoristique et le lancement de roman graphique de blogueuses à succès comme Diglee. Depuis 2016, Marabulles évolue vers le biopic féminin, notamment grâce au succès de Simone Veil l’immortelle et l’adaptation du best-seller Elle s’appelait Sarah. »
Voilà (corrigé de ses fautes), le petit texte de présentation du label Marabulles que l’on peut trouver sur le site du groupe Hachette. Tenant entre les mains le catalogue 2023-2024 de cet éditeur – un parmi les dizaines à être apparus ces quinze dernières années –, je me fais la réflexion qu’il concentre tous les « traits d’époque » et reflète exemplairement les évolutions qu’a connues récemment la bande dessinée. Le sommaire est divisé en cinq rubriques : « Femmes et féminisme », « Au cœur de l’histoire », « Société », « Tranches de vie » et « Sport » (avec trois titres seulement pour la dernière). On ne peut que mesurer la différence avec les catégories qui ont longtemps prévalu chez les éditeurs traditionnels, dont les catalogues étaient structurés soit par genres (western, polar, science-fiction, humour…), soit par publics visés (jeunesse, ado-adulte, tout public), soit par provenance géoculturelle (BD, comics, mangas), soit encore par formats éditoriaux (nouvelles séries, continuations de séries, romans graphiques) – ou encore un mélange de tout cela.
Chez Marabulles, la bande dessinée n’est définitivement plus la littérature d’évasion, vouée à la fiction, que l’on a connu tout au long du XXe siècle : elle est vouée au témoignage, au reportage engagé (Les Ouïghours, un peuple qui refuse de mourir, de Darbré et Franques), au récit biographique ou documentaire, aux questions de société et surtout à celles liées au corps et à la sexualité, avec des titres comme L’Affaire clitoris, Elle a fait un bébé toute seule, Juste une endométriose ou encore Baiser après #metoo. Les auteurs à succès qui figurent au catalogue – Motin, Diglee, Ovidie, mais aussi Séra, Joann Sfar (pour 2 tomes de ses carnets) ou Catherine Meurisse (La Vie de palais, avec Richard Malka) – ne bénéficient d’aucune mise en avant, d’aucun privilège par rapport aux autres car ce sont bien les sujets traités, ici, qui sont prépondérants. Cette bande dessinée-là se positionne comme un médium, un véhicule pour aborder, comme le font depuis plus longtemps les auteurs de livres sans images, tous les sujets relevant des sciences humaines, des grands enjeux sociétaux et du développement personnel. Elle propose une autre manière de les aborder, supposément plus légère, plus accessible, moins intimidante. On n’est donc pas surpris non plus d’observer que les trois quarts des livres sont le fruit d’un travail en collaboration entre le dessinateur ou la dessinatrice et un auteur ou une autrice spécialiste du sujet abordé ou qui a mené l’enquête. Tous ces éléments sont, après tout, ceux qui ont assuré le triomphe, en 2022, du Monde sans fin de Blain et Jancovici (éditions Dargaud), qui est, à n’en pas douter, le « coup éditorial » que, chez Marabulles et ailleurs, l’on aimerait reproduire.
Enfin, il est non moins frappant de voir que cette bande dessinée sociétale et intime (appelons-là ainsi faute de termes plus adéquats) est majoritairement le fait de créatrices. Sur un total de 78 titres figurant dans le catalogue 23-24, j’ai compté 17 livres signés d’une femme seule, 20 qui portent deux signatures féminines, et 22 élaborés par une équipe mixte, comptant au moins une femme.
La bande dessinée a bel et bien changé de paradigme.