Tout réussit à Fabcaro : la bande dessinée, le roman, le roman-photo, les adaptations de ses œuvres au cinéma ou à la scène. Le voici promu nouveau scénariste d’Astérix, et la critique salue en L’Iris blanc un album particulièrement réussi, qui retrouve l’esprit des meilleurs épisodes signés Goscinny et Uderzo.
Au milieu de ce concert de louanges, j’aurais, pour ma part, d’assez nettes réserves à formuler. Sur le dessin de Conrad, d’abord. Son trait n’a pas la fermeté, l’autorité de celui d’Uderzo, son jeu d’acteurs n’a pas la même finesse, ses images ne sont pas composées avec la même maîtrise de l’espace. À tout cela s’ajoute un lettrage qui n’est pas conforme à celui du maître, et ce point est tout sauf anodin, tant la lettre participe pleinement de l’esthétique et de la cohérence interne d’une bande dessinée.
S’agissant du scénario de Fabcaro, tout en saluant ses nombreux traits d’esprit, on pourra s’étonner du changement de sujet qui intervient au milieu de l’album : après une première partie dédiée à la satire de la pensée positive et du développement personnel, vient un deuxième récit consacré à la tentative d’émancipation de Bonnemine, l’épouse d’Abraracourcix. Comme si le scénariste n’avait pas trouvé, dans son thème initial, assez de carburant pour tenir la distance.
On pourra aussi s’étonner de la « morale » quelque peu réactionnaire de l’histoire : une femme n’est jamais mieux qu’auprès de son mari, celui-ci fût-il un rustre et un gros lourdaud.
Un problème plus général se pose. Le lecteur de L’Iris blanc a le sentiment que Fabcaro a cherché à cocher toutes les cases d’un cahier des charges implicite : César et les pirates font les apparitions que l’on attend, les bagarres et les jeux de mots sont au rendez-vous, et le commandant de camp romain désabusé, et la séquence anachronique (ici : une charge contre la SNCF), etc, etc. De sorte que l’on est partagé entre le plaisir des retrouvailles avec des recettes éprouvées, et le sentiment que tout cela résulte d’une fabrication un peu trop conforme, trop respectueuse, et finalement sans surprise. C’est que, entre les deux options de la transgression et du mimétisme, il n’en est aucune de bonne.
Les éphémères reprises d’Achille Talon (trois albums entre 2014 et 2016, dessinés par Serge Carrère) et de Gai-Luron (trois albums entre 2016 et 2018, avec Pixel Vengeur) par le même Fabcaro n’avaient pas marqué les esprits. À présent il se fait plaisir en jouant avec Astérix, qui est une sorte de trésor national. Ne sait-il pas que, comme le dit Florence Cestac, « le résultat n’est jamais à la hauteur des séries originales » ? (L’Obs du 13 mai 2022, recité dans Le Mondedu 20 octobre 2023 par Michel Guerrin, lequel déplore que notre société soit « si friande du recyclage permanent d’auteurs dilués »).
La bonne nouvelle de cet Iris blanc, c’est finalement que Ferri, déchargé pour un temps d’écrire Astérix, va bientôt pouvoir nous donner ce fameux De Gaulle à Londres que l’on attend avec la plus vive impatience.