En gare d’Angoulême, des messages régulièrement diffusés tout au long de la journée souhaitent la bienvenue aux personnes qui descendent à Angoulême pour participer au « Salon de la bande dessinée ». La SNCF a trente ans de retard : le Festival ne s’est appelé Salon que jusqu’en 1995.
Une centaine d’auteurs et d’autrices en provenance d’Espagne ont fait le déplacement jusqu’en Charente cette année. Leur ministre de la Culture accompagne la délégation. Pourtant, dans la presse, l’Espagne, invité d’honneur, n’est le plus souvent pas même mentionnée par les journalistes qui, en fait de programmation, n’ont retenu que ce qui a trait aux comics et aux mangas.
L’Association « Club 99 » fédère la plupart des festivals de bande dessinée les plus importants de France. Fondée en 2023, elle se veut une plate-forme d’échange d’informations et un réseau participatif favorisant la mutualisation de certaines actions et l’instauration de « bonnes pratiques » définies en commun. Elle invite des manifestations plus petites à la rejoindre. Une réunion était organisée en ce sens vendredi 31, sous le « Magic Mirror ». Y furent révélés les principaux résultats d’une enquête conduite en 2024 auprès de 57 festivals répartis sur tout le territoire (le maillage complet en compte à peu près quatre fois plus). Pour un budget oscillant entre 6 000 et 100 000 euros, ils accueillent de 2 000 à 56 000 visiteurs.
De la liste des trente artistes proposés par la direction du festival pour le Grand Prix en 2016, qui ne comportait pas une seule femme, aux trois finalistes de cette année, parmi lesquels ne figurait aucun homme, on peut mesurer le chemin parcouru ! Anouk Ricard a été couronnée. Il paraît que ce n’est pas du goût de Frank Bondoux (le délégué général du FIBD), qui, estimant qu’elle est insuffisamment connue du grand public, ne voit pas en elle une tête d’affiche « vendable » pour la prochaine édition. Catherine Meurisse échoue une nouvelle fois à décrocher cette récompense. Tout le monde s’accorde à penser qu’elle la mérite hautement, mais il semble que le fait d’être entrée à l’Académie des beaux-arts joue en sa défaveur : tous les honneurs ne peuvent pas être concentrés sur les mêmes. Sa non-élection lui vaut d’être gentiment chambrée par ses collègues Benjamin Adam et Terreur Graphique dans le Libé « tout en BD » du 30 janvier.
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Détail de la planche de Terreur graphique pour « Libération » – Tous droits réservés
De son côté, Le Monde, sous la plume d’Alexis Duval, consacre le lendemain un bel article à trois autres dessinatrices : « Trois femmes, trois récits, trois âges de la vie », à savoir la crise de la quarantaine pour Aude Picault (Moi je. Quarantaine), la périménopause pour Cati Baur (Marcie. Le point de bascule), la « sénescence » heureuse pour Florence Cestac (Le Démon de mamie), toutes trois éditées par Dargaud.
Dans l’Espace Nouveau Monde, de nombreux stands ont accueilli l’affichette « Chloé on te croit », en soutien à la collaboratrice de 9eArt+ qui, quelques jours après avoir été victime d’un viol, s’était vu signifier son licenciement. En ville, on peut voir quelques tags « Bondoux démission ». Le « Carnaval des luttes », marche festive et militante des étudiants d’écoles d’art et de plusieurs collectifs dans les rues d’Angoulême samedi 1er février, laisse derrière lui la façade du Quick, nouveau sponsor décrié du festival, badigeonnée de noir. Ce n’est pas la première fois, loin s’en faut, que Bondoux se trouve sur la sellette. En 2017 avait été créée une « association des financeurs d’Angoulême », à l’instigation du ministère de la Culture. Présidée par Bruno Racine, elle devait « définir une vision stratégique et partagée dans l’intérêt du festival ». J’avais participé à quelques réunions de ce comité en tant que personnalité qualifiée. Il n’en était finalement pas sorti grand-chose de concret, et Bondoux avait gardé les mains libres. (On notera qu’il n’est malheureusement pas sorti davantage de très concret du fameux « rapport Racine » rédigé par le même, sur le statut des artistes-auteurs, remis au ministre en janvier 2020. La qualité de l’homme n’est pas en cause ; mais il faut se rendre à l’évidence : ces missions sont autant de cache-nez derrière lesquels se cache l’absence de volonté des pouvoirs publics.)
Masterclass de Gou Tanabe. Le mangaka qui a donné un visage inoubliable aux monstres indicibles de Lovecraft raconte qu’il a été un enfant solitaire, confié à ses grands-parents parce que ses parents étaient entièrement mobilisés par le cas de son frère, atteint de problèmes cardiaques. Le parallèle s’impose avec David B, abandonné à lui-même parce que son frère épileptique concentrait sur lui toute l’attention familiale. L’un et l’autre ont forgé dans cette exclusion un imaginaire accordant une large place au fantastique.
Pendant ce temps, quelle est la BD la plus vendue au cours du mois de janvier 2025 ? Le Lotus bleu, d’Hergé, dans la version noir et blanc colorisée.
[Bandeau : Gou Tanabe, Le Molosse, planche 6 (détail) – © éditions Ki-oon]