J’ai déjà eu l’occasion d’observer ici que le revival se porte bien dans le monde de la bande dessinée, qui paraît, plus que d’autres, travaillé par la nostalgie. Mais s’il y a une collection que l’on ne s’attendait pas à voir renaître de ses cendres, c’est bien la collection « 30/40 » qui fut la collection signature des éditions Futuropolis, période Robial-Cestac. La voici pourtant qui revient aux éditions de l’Apocalypse, avec un premier volume, annoncé pour janvier (mais certains l’auront déjà découvert en avant-première au SOBD dès ce mois-ci), qui porte en couverture le nom de Menu.
Rappelons aux plus jeunes que ladite collection se distinguait non seulement par son format géant (40 cm de haut, 30 de large) mais par le fait qu’elle ne comportait aucune autre mention en couverture que le nom de l’artiste, en lettres géantes elles aussi. Emblématique de la politique des auteurs que professaient Etienne Robial et Florence Cestac, les « 30/40 » n’affichaient aucun titre, aucun héros, ne mettant en avant que le créateur. Il fallait y aller voir pour découvrir que le Tardi et le Baudoin, par exemple, consistaient en deux grands récits qui, repris plus tard dans d’autres formats, allaient s’imposer comme des repères majeurs dans la production de ces deux grands auteurs, à savoir La Véritable Histoire du Soldat inconnu, pour le premier et Le Portrait, pour le second. Mais il n’en allait pas de même pour tous les titres. Le tiercé inaugural, en 1974, qui marqua véritablement le début de l’activité de la maison parisienne, revendiquait d’emblée l’éclectisme : outre le Tardi cité parurent cette année-là un Gir (ni Giraud, ni Moebius ; on est un an après la parution de La Déviation dans Pilote, un an avant la création de Métal Hurlant, le dessinateur est en phase de transition) consistant en une compilation de dessins et d’histoires courtes – dont, précisément, La Déviation – et un Calvo patrimonial réunissant trois aventures de Patamousse et inaugurant une politique de rééditions qui allaient tirer de l’oubli l’auteur de La Bête est morte.
Suivirent 19 autres volumes, jusqu’au Miles Hyman conclusif de 1993. « 30 / 40 » accueillit des Américains (et – sauf Crumb et Wrightson – certes pas les plus connus des amateurs de comics, mais Bodé, Jones, Moscoso…), des outsiders comme Got, Montellier, Bazooka, Masse, Schlingo et Mix Mix, des grands noms de la scène internationale comme Swarte et Jacovitti, un mémorable Willem. Bref, un casting n’obéissant à aucune autre règle que le (bon) goût des éditeurs, et assurément à aucun souci de rentabilité et, au final, une affiche ayant valeur de manifeste, de défense et illustration d’une certaine idée de la bande dessinée.
Jean-Christophe Menu avait publié son premier album professionnel chez Futuropolis, dans la collection « X » (Le Portrait de Lurie Ginol, 1987). Il avait coordonné l’unique numéro de la revue Labo, qui préfigurait l’Association encore à naître, sous la férule bienveillante de Robial. Et il n’a jamais caché que Futuropolis incarnait pour lui le modèle de l’éditeur avisé, dissident et intransigeant. Robial, de son côté, n’a pas davantage dissimulé sa satisfaction de voir l’Association se réclamer de son travail d’éditeur et en prolonger l’empreinte. Rien que de logique, donc, si Menu a proposé à Robial de reprendre seul, sous les couleurs de l’Apocalypse (la maison qu’il a fondée en 2011, après son départ de l’Association, et qui, refinancée, a repris son activité au sortir d’un sommeil de plusieurs années), la direction de la collection « 30 / 40 », et si Robial a décidé que le volume inaugural de cette deuxième saison ne pouvait être consacré à nul autre que Menu (« Je ne m’y attendais pas, je ne me serais pas mis en premier », assure ce dernier). On y trouvera des pages autobiographiques (évoquant notamment la mort de ses parents) et un « pot-pourri » des personnages, créations et recherches que connaissent ses lecteurs.
Le travail de l’éditeur Menu n’a cessé d’être exemplaire, comme sont encore venus le confirmer, s’il en était besoin, les livres les plus récents de l’Apocalypse : Hanbok de Sophie Darcq, Aristée de Vincent Vanoli et Le Copirit (1952-1953) de Jean-Claude Forest. La trajectoire du dessinateur Menu, elle, aura connu quelques zig-zags inattendus, si l’on se souvient qu’elle comprend un album chez l’infâme « Dargô » (Couacs au Mont-Vérité, 2021) et un autre « 48 CC » chez Delcourt, en l’espèce un épisode de Donjon (Le Géant qui pleure, 2001). Qui mieux que Menu pouvait publier ce « 30 / 40 » Menu qui représente une forme de consécration symbolique ?
D’autres dessinateurs sont au travail pour agrandir la « famille », mais Robial n’a pas daigné m’en communiquer les noms. « On les découvrira quand les livres seront prêts. »