Le Rayon invisible : attention à ce titre qui fait songer à quelque roman de science-fiction et pourrait abuser plus d’un lecteur. C’est celui qu’a choisi de donner l’artiste franco-écossais Damien MacDonald à l’album de bande dessinée qu’il vient de faire paraître chez Denoël Graphic, à l’occasion de l’exposition célébrant le centenaire du surréalisme au Centre Pompidou, et en coédition avec ce dernier. En référence à une phrase d’André Breton figurant à la fin du Manifeste du surréalisme : « Le surréalisme est le rayon invisible qui nous permettra un jour de l’emporter sur nos adversaires ».
Le nom de Damien MacDonald est encore peu connu dans les sphères du 9e Art. Il avait travaillé, en tant que « commissaire invité », sur l’exposition Marginalia présentée au Nouveau Musée national de Monaco en 2021(quelques petits dessins de sa main étaient même semés dans les marges du catalogue) et signé un premier album chez Calmann Lévy un an plus tôt, une adaptation du roman de Victor Hugo Notre-Dame de Paris. On lui doit surtout le livre, paru chez Flammarion en 2023, Bande dessinée : anatomie d’un art, qui « disséquait » une centaine de planches appartenant à une collection privée.
MacDonald s’attaque ici à un gros morceau : non pas retracer l’histoire du mouvement surréaliste mais faire un panégyrique de l’esprit qui l’animait, considéré comme « l’outil absolument moderne d’une prochaine révolution des consciences et des inconscients, indispensable face aux défis aggravés du XXIe siècle », rien de moins (je cite la 4e de couverture). Le biais narratif choisi est celui d’une jeune scénariste essayant de convaincre un producteur de l’accompagner dans un projet de série sur le sujet. (Les producteurs de série sont en train de devenir des personnages emblématiques de notre époque, voir Stacy, le dernier album de Gipi). Un procédé qui peut faire songer à un album ancien de Chantal Montellier, La Fosse aux serpents, prodigue en images « surréalistes » lui aussi, dans lequel l’héroïne Julie Bristol, vidéaste, élaborait un documentaire sur Camille Claudel. Ici, la scénariste a pour nom Flamelle, ce qui fait d’elle une sorte de pendant féminin de Nicolas Flamel, pseudo-alchimiste du XIVe siècle (que MacDonald cite page 38).
Le Rayon invisible est divisé en trois parties. La première est centrée sur les échanges entre Flamelle et le producteur, qu’elle essaie de gagner à sa cause – et à celle d’André Breton, « le plus grands des dissidents ». Puis, après qu’il lui ait dit « Tu gagnerais en engagement en faisant une œuvre elle-même surréaliste », la jeune femme entame un voyage dans le sur-réel avec Loplop (l’oiseau de Max Ernst) comme cicerone. C’est la deuxième partie. La troisième, qui débouche sur une « injonction à aimer », est difficile à qualifier. Il est vrai qu’à ce moment-là du livre, Damien MacDonald m’avait depuis longtemps perdu.
L’invisible est assurément un concept qui lui tient à cœur, puisqu’il avait été le concepteur, en 2015, d’une exposition collective présentée à la galerie parisienne 24b sous l’égide de l’éphémère Fondation Mindscape, dont témoigne un catalogue de près de 700 pages. Aux côtés de Duchamp, Ernst, Hans Bellmer et Unica Zürn, une quarantaine d’artistes contemporains s’y côtoyaient pour avoir, les uns et les autres, « joué sur les frontières du visible » et inventé une « spiritualité laïque ».
Malheureusement les pages de cette bande dessinée sont bien visibles, elles, et ce qu’elles donnent à voir est assez désolant. Dans l’article « Surréalisme » du Bouquin de la bande dessinée (Laffont, 2020), je déplorais que trop souvent la bande dessinée nous ait confrontés à une forme de surréalisme « laborieuse, forcée, trop ostensiblement bricolée, [relevant] de cet « idéal de brocanteur » dans lequel le plasticien Jean-Paul Marcheschi [a vu] l’apport du mouvement d’André Breton à la peinture ». C’est bien à cela que MacDonald nous confronte.
Je le crois intelligent, éminemment cultivé, et sincère, totalement pénétré de son sujet. Et je n’ai aucune prévention, bien au contraire, à l’endroit du surréalisme, qui enjoignait à l’homme de vivre à la hauteur de ses rêves. Le problème est celui des images « de nature surréaliste », et du geste consistant à les aligner pour produire un récit visuel sans cohérence.
Le Centre Pompidou avait déjà pris l’initiative de prolonger, par un album de bande dessinée, la grande exposition qu’il avait consacrée à Salvador Dali en 2016. Il s’était alors adressé à Edmond Baudoin, dont l’art est aux antipodes de celui de MacDonald. Ce dernier fait déplorer par Breton (page 59) que « l’iconographie du surréalisme ait été pillée par les publicitaires ». Dans Le Rayon invisible, les dessins de l’artiste sont sans mystère, son trait sans vibration, ses chairs sans érotisme ; le tout relève d’un esthétisme appliqué et glacé, d’un style publicitaire réduisant en effet le surréalisme à une iconographie, un grand bazar de l’étrange. Il est significatif que, dans l’entretien accordé aux Midis de culture, sur France Culture, le 4 septembre dernier, MacDonald ait complètement éludé la question qui lui était posée sur la traduction du rêve par le dessin.
L’avant-dernier album édité par Denoël Graphic, Les Nourritures extra-terrestres de Stephen Vuillemin, était passablement « surréaliste », lui aussi. Espérons que l’ami Fromental, directeur de la collection, n’en fasse pas sa spécialité.