Je dois à Lucas Hureau d’avoir eu mon attention attirée sur un album paru en mai 2023 et qui, me semble-t-il, est passé assez inaperçu des amateurs de bande dessinée. Peut-être parce qu’il a été publié par les éditions Gallimard dans la collection « Alternatives », qui ne sont pas connues pour leur implication dans ce domaine. Sûrement parce qu’il s’agit d’une œuvre éminemment originale dans son principe, à mi-chemin du street art et de la BD. On avait pu suivre son élaboration sur le compte Instagram de l’artiste, pendant les trois années de son élaboration, de décembre 2019 à novembre 2022.

Charles Leval dit Levalet, aujourd’hui âgé de 36 ans, est un plasticien connu pour ses dessins en noir et blanc, réalisés à l’encre de Chine, qu’il colle sur les murs. Des personnages qui souvent interagissent avec les lieux qu’ils investissent (pour peu de temps en général, puisque, d’une grande vulnérabilité, ils finissent arrachés, recouverts ou victimes des intempéries).

Son travail a pris une dimension nouvelle avec le projet d’Odyssée, véritable récit en images dans lequel son double de papier, dessiné grandeur nature, joue le premier rôle et dont les différents épisodes ont été collés dans les rues de Paris (principalement entre Opéra et Bastille et autour de Montmartre), Reims, Marseille et Londres. L’artiste les a systématiquement photographiés, et c’est la succession de ces clichés qui constitue l’album de 152 pages proposé en librairie.

Comme son titre l’indique, celui-ci s’inspire de l’œuvre d’Homère, relisant quelques-unes de ses péripéties, telles les rencontres avec les sirènes (ici : trois harpies hantant le quai de Valmy) ou le cyclope (un géant casqué). Le protagoniste est un jeune homme qui, au début de l’aventure, reçoit une lettre lui signifiant que le temps est venu pour lui de s’enrôler dans l’armée. Tout au long de son odyssée, on suit les avatars que connaît son inaltérable silhouette (jeans et t-shirt rayé à longues manches) dans un décor qui, lui, ne cesse de se métamorphoser (murs dont l’état, la couleur et le revêtement varient, escaliers, mobilier urbain, rares irruptions du végétal), toujours utilisé avec beaucoup d’à-propos et, parfois, avec une bonne dose d’humour. La plupart des pages comptent entre une et trois images, mais les pages 136 et 137, qui récapitulent l’aventure, se composent d’une mosaïque de 60 petites vignettes (à elles deux).

Levalet, "Odyssée", page 15

Levalet, « Odyssée », page 15 – © éditions Gallimard

Deux séquences font plus directement signe vers un imaginaire de bande dessinée : celle où différentes sortes de projectiles (bananes, oiseaux morts, batterie de cuisine, drones et enfin bombes) pleuvent sur le héros, et celle où, perdu, il demande son chemin à différents figurants improbables parmi lesquels un épouvantail, un alien, Mickey Mouse et un zèbre.

On peut n’être pas subjugué par le dessin, très classique et sans grande personnalité, de Levalet ; mais il est difficile de ne pas être séduit par son approche très singulière de l’art urbain, aboutissant à une bande dessinée peut-être pas d’un immense intérêt narratif mais formellement assez convaincante.

Après Frédéric Logez et ses récentes interventions à Béthune, précédemment évoquées dans ce blog (https://www.thierry-groensteen.fr/index.php/2024/03/21/a-bethune-la-bd-dans-la-rue/), voici un deuxième créateur qui fait descendre la bande dessinée dans la rue.

Levalet, "Odyssée", page 70

Levalet, « Odyssée », page 70 – © éditions Gallimard

[Levalet, Odyssée , Éditions Alternatives, 22 € ; ISBN : 978-207301-652-2. Voir aussi la version vidéo sur Youtube :